Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il est de ces malheureux qui semblent poursuivis par une destinée fatale qu’ils ne sauraient fuir…

Renversé sous son cheval, après une mêlée furieuse, M. Lacheneur avait perdu connaissance…

Lorsqu’il revint à lui, ranimé par la fraîcheur de l’aube, le carrefour était désert et silencieux. Non loin de lui, il aperçut deux cadavres qu’on n’était pas encore venu relever.

Ce fut un moment affreux, et du plus profond de son âme, il maudit la mort qui avait trahi ses suprêmes désirs.

S’il eût eu une arme sous la main, sans nul doute il eût mis fin, par le suicide, aux plus cruelles tortures morales qu’il soit donné à un homme d’endurer… mais il était désarmé.

Force lui était donc d’accepter le châtiment de la vie qui lui était laissée…

Peut-être aussi, la voix de l’honneur lui cria-t-elle que se soustraire par la mort à la responsabilité de ses actes est une insigne lâcheté… Si irréparable que paraisse le mal qu’on a fait, il y a toujours à réparer.

Enfin ne se devait-il pas à sa fille, si misérablement sacrifiée !… Avant tout, il devait se retirer de dessous le cadavre de son cheval, et sans aide, ce n’était pas chose facile ; outre que son pied était resté engagé dans l’étrier, tous ses membres étaient à ce point engourdis qu’à grand’peine il parvenait à se mouvoir.

Il se dégagea cependant, et, s’étant dressé, il s’examina et se palpa…

Lui qui eût dû être tué dix fois, il n’avait d’autre blessure qu’un coup de baïonnette à la jambe, une longue éraflure qui, partant du coup de pied, remontait jusqu’au genou.

Telle quelle, cette blessure le faisait beaucoup souffrir, et il se baissait pour la bander avec son mouchoir, lorsqu’il entendit sur la route un bruit de pas…

Il n’y avait pas à hésiter ; il se jeta dans les bois qui sont sur la gauche de la Croix-d’Arcy…