Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’étaient des soldats qui regagnaient Montaignac, après avoir poursuivi le gros des conjurés pendant plus de trois lieues, la baïonnette dans les reins.

Ils pouvaient être deux cents, et ramenaient des prisonniers, une vingtaine de pauvres paysans, attachés deux à deux par les poignets, avec des lanières de cuir coupées aux fourniments.

Blotti derrière un gros chêne, à moins de quinze pas de la route, Lacheneur reconnut, aux premières clartés du jour, quelques-uns de ces prisonniers…

Comment ne fut-il pas découvert lui-même ?… Ce fut une grande chance.

Il échappa à ce danger, mais il comprit combien il lui serait difficile du gagner la frontière, sans tomber au milieu d’un de ces détachements qui sillonnaient le pays, observant les routes, battant les bois, fouillant les fermes et les villages.

Cependant, il ne désespéra pas.

Deux lieues à peine le séparaient des montagnes, et il croyait fermement qu’il serait à l’abri de toutes les poursuites aussitôt qu’il aurait atteint les premières gorges.

Il se mit donc courageusement en route…

Hélas, il avait compté sans les fatigues exorbitantes des jours précédents qui maintenant l’écrasaient, sans sa blessure dont il ne pouvait arrêter le sang…

Il avait arraché un échalas à une vigne, et s’en servant en guise de béquille, il se traînait plutôt qu’il ne marchait, restant sous bois tant qu’il pouvait, et rampant le long des haies et au fond des fossés quand il avait à traverser un espace découvert.

A tant de souffrances physiques, aux plus cruelles angoisses morales, un supplice venait se joindre, plus douloureux de moment en moment : la faim.

Il y avait trente heures qu’il n’avait rien pris et il se sentait défaillir de besoin.

Bientôt, la torture devint si intolérable, qu’il se sentit prêt à tout braver pour y mettre un terme.