Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/296

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après la lente agonie de la faim, son corps vaudrait toujours vingt mille francs.

Et celui qui trouverait son cadavre se garderait bien de lui donner la sépulture.

Il le chargerait sur une charrette et le porterait à Montaignac.

Il irait droit aux autorités et dirait :

« Voici le corps de Lacheneur… comptez l’argent de la prime !… »

Combien de temps et par quels chemins marcha ce malheureux, lui-même n’a pu le dire.

Mais sur les deux heures, comme il traversait les hautes futaies de Charves, ayant aperçu deux hommes qui s’étaient levés à son approche et qui fuyaient ; il les appela d’une voix terrible :

— Eh ! vous autres !… voulez-vous mille pistoles chacun ?… Je suis Lacheneur.

Ils revinrent sur leurs pas en le reconnaissant, et lui-même reconnut deux des conjurés, des métayers dont les familles étaient aisées et qu’il avait eu bien de la peine à enrôler.

Ces hommes avaient un demi-pain dans un bissac et une gourde pleine d’eau-de-vie.

— Prenez… dirent-ils au pauvre affamé.

Ils s’étaient assis près de lui, sur l’herbe, et pendant qu’il mangeait, ils lui disaient leurs infortunes. Ils avaient été signalés, on les recherchait, leur maison était pleine de soldats. Mais ils espéraient gagner les États sardes, grâce à un guide qui les attendait à un endroit convenu…

Lacheneur leur tendit la main.

— Je suis donc sauvé, dit-il. Faible et blessé comme je le suis, je périssais si je restais seul…

Mais les deux métayers ne prirent pas la main qui leur était tendue.

— Nous devrions vous abandonner, dit le plus jeune d’un air sombre, car c’est vous qui nous perdez, qui