Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/300

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— Vous ne resterez pas, disait-elle avec une véhémence extraordinaire… Partez, sauvez-vous !… Je ne veux pas que vous soyez pris ici, cela nous porterait malheur !

Ebranlé par ces adjurations violentes, l’instinct de la conservation reprenant le dessus, Lacheneur se leva et s’avança jusque sur le seuil de l’auberge.

La nuit était noire, et un brouillard glacé épaississait encore les ténèbres.

— Voyez, madame ! fit doucement le pauvre fugitif. Comment me guider à travers ce pays de montagnes que je ne connais pas, où il n’y a point de routes, où les sentiers sont à peine frayés…

D’un geste rapide, la femme de Balstain poussa Lacheneur dehors, et le tournant comme un aveugle qu’on remet en son chemin :

— Marchez droit devant vous, dit-elle, toujours contre le vent… Dieu vous protège !… Adieu !

Il se retourna pour demander quelques explications encore, mais la femme était rentrée dans l’auberge et avait refermé la porte.

Il s’éloigna donc, soutenu par l’excitation d’une fièvre terrible, et durant de longues heures il marcha… Il n’avait pas tardé à perdre la direction, et il errait au hasard, à travers les montagnes de la frontière, transi de froid, buttant à chaque pas contre des roches, tombant parfois et se relevant meurtri…

Comment il ne roula pas au fond de quelque précipice, c’est ce qu’il est difficile d’expliquer.

Ce qui est sûr, c’est qu’il s’égara complètement, et le soleil était déjà bien haut sur l’horizon, quand enfin il aperçut au milieu de ces mornes solitudes un être humain à qui demander où il se trouvait.

C’était un petit berger qui s’en allait, chassant quatre chèvres, et qui, effrayé de l’aspect de cet étranger qui lui apparaissait, refusa d’abord d’approcher.

Une pièce de monnaie l’attira pourtant.

— Vous êtes, monsieur, dit-il en mauvais patois, tout