Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/301

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au sommet de la chaîne, et juste sur la ligne de la frontière… Ici est la France, là c’est la Savoie…

— Et quel est le village le plus proche ?…

— Du côté de la Savoie, Saint-Jean-de-Coche ; du côté de la France, Saint-Pavin…

Ainsi, après tant de prodigieux efforts, Lacheneur ne s’était pas éloigné d’une lieue de l’auberge de Balstain…

Consterné par cette découverte, il demeura un moment indécis, délibérant…

À quoi bon !… Les infortunés voués à la mort choisissent-ils ?… Toutes les routes ne les mènent-elles pas fatalement à l’abîme où ils doivent rouler !…

Il se souvint des carabiniers royaux dont l’avait menacé la femme de l’aubergiste, et lentement, avec des difficultés inouïes, il descendit les pentes roides qui le ramenaient en France.

Il venait d’entrer sur le territoire de Saint-Pavin, quand, devant une cabane isolée, il aperçut une jeune femme, fraîche et jolie, qui filait assise au soleil.

Péniblement il se traîna jusqu’à elle, et d’une voix expirante il lui demanda l’hospitalité.

A la vue de ce malheureux hâve et pâle, aux vêtements souillés de boue et de sang, la jolie paysanne s’était levée, plus surprise évidemment qu’effrayée.

Elle l’examinait et elle reconnaissait que son âge, sa taille et ses traits se rapportaient à un signalement publié au tambour et répandu à profusion sur toute cette frontière…

— Vous êtes, dit-elle, celui qui a conspiré, qu’on cherche partout et dont on promet deux mille pistoles !…

Lacheneur tressaillit.

— Eh bien ! oui, répondit-il après un moment de silence, je suis Lacheneur… Livrez-moi si vous voulez… mais, par pitié, donnez-moi un morceau de pain et laissez-moi prendre un peu de repos…

À ce mot : livrez-moi, la jolie jeune femme avait eu un geste d’horreur et de dégoût.