Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/31

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tenu à Londres par les embarras d’une immense succession.

Les Cent-Jours l’avaient exaspéré.

Mais « la bonne cause, » ainsi qu’il disait, triomphant de nouveau, il se hâtait d’accourir.

Hélas ! Lacheneur soupçonnait bien les véritables sentiments de son ancien maître, quand il se débattait sous les obsessions de sa fille.

Lui qui avait été obligé de se cacher en 1814, il savait bien que les « revenants » n’avaient rien appris ni rien oublié.

Le duc de Sairmeuse était comme les autres.

Cet homme qui avait tant vu n’avait rien retenu.

Il pensait, et rien n’était si tristement grotesque, qu’il suffisait d’un acte de sa volonté pour supprimer net tous les événements de la Révolution et de l’Empire.

Quand il avait dit : « Je ne reconnais pas tout ça !… » il s’imaginait, de la meilleure foi du monde, que tout était dit, que c’était fini, que ce qui avait été n’était pas.

Et si quelques-uns de ceux qui avaient vu Louis XVIII à l’œuvre en 1814, lui affirmaient que la France avait quelque peu changé depuis 1789, il répondait en haussant les épaules :

— Bast !… nous nous montrerons, et tous ces coquins dont la rébellion nous a surpris rentreront dans l’ombre.

C’était bien là, sérieusement, son opinion.

Tout le long de la route accidentée qui conduit de Montaignac à Sairmeuse, le duc, confortablement établi dans le fond de sa berline de voyage, développait ses plans à son fils Martial.

— Le roi a été mal conseillé, marquis, concluait-il, sans compter que je le soupçonne d’incliner plus qu’il ne conviendrait vers les idées jacobines, S’il m’en croyait, il profiterait, pour faire rentrer tout le monde dans le devoir, des douze cent mille soldats que nos amis les alliés ont mis à sa disposition. Douze cent mille baïonnettes