Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/324

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Mais n’obtenait plus qui voulait les offices du vieux maraudeur.

Ayant touché le prix du sang de Lacheneur, ces vingt mille francs qui l’avaient fasciné, Chupin avait déserté la maison du duc de Sairmeuse.

Retiré dans une auberge des faubourgs, il passait ses journées tout seul, dans une grande chambre du premier étage.

La nuit, il se barricadait et buvait… Et jusqu’au jour, le plus souvent, on l’entendait crier et chanter ou lutter contre des ennemis imaginaires.

Cependant il n’osa pas résister à l’ordre que lui porta un soldat de planton, d’avoir à se rendre sur-le-champ à l’hôtel de Sairmeuse.

— Je veux savoir ce qu’est devenu le baron d’Escorval, lui demanda Martial à brûle-pourpoint.

Le vieux maraudeur tressaillit, lui qui était de bronze autrefois, et une fugitive rougeur courut sous le hâle de ses joues.

— La police de Montaignac est là, répondit-il d’un ton bourru, pour contenter la curiosité de monsieur le marquis… Moi je ne suis pas de la police…

Était-ce sérieux ?… N’attendait-il pas plutôt qu’on eût intéressé sa cupidité ? Martial le pensa.

— Tu n’auras pas à te plaindre de ma générosité, lui dit-il, je te paierai bien…

Mais voilà qu’à ce mot payer, qui huit jours plus tôt eût allumé dans son œil l’éclair de la convoitise, Chupin parut transporté de fureur.

— Si c’est pour me tenter encore que vous m’avez fait venir, s’écria-t-il, mieux valait me laisser tranquille à mon auberge.

— Qu’est-ce à dire, drôle !…

Cette interruption, le vieux maraudeur ne l’entendit même pas ; il poursuivait avec une violence croissante :

— On m’avait dit que livrer Lacheneur ce serait servir le roi et la bonne cause… je l’ai livré et on me traite comme si j’avais commis le plus grand des crimes… Au-