Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/325

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fois, quand je vivais de braconnage et de maraude, on me méprisait peut-être, mais on ne me fuyait pas… On m’appelait coquin, pillard, vieux filou et le reste, mais on trinquait tout de même avec moi !… Aujourd’hui que j’ai deux mille pistoles, on se sauve de moi comme d’une bête venimeuse. Si j’approche, on recule ; quand j’entre quelque part, on sort…

Le souvenir des injures qu’il avait subies lui était si cruel qu’il paraissait véritablement hors de soi.

— Est-ce donc, poursuivait-il, une action infâme que j’ai commise, ignoble et abominable ?… Alors pourquoi M. le duc me l’a-t-il proposée ?… Toute la honte doit en retomber sur lui. On ne tente pas, comme cela, le pauvre monde avec de l’argent. Ai-je bien agi, au contraire ?… Alors qu’on fasse des lois pour me protéger…

C’était un esprit troublé qu’il fallait rassurer, Martial le comprit.

— Chupin, mon garçon, dit-il, je ne te demande pas de chercher M. d’Escorval pour le dénoncer, loin de là… Je désire seulement que tu te mettes en campagne pour découvrir si on a eu connaissance de son passage à Saint-Pavin ou à Saint-Jean-de-Coche…

À ce dernier nom le vieux maraudeur devint blême.

— Vous voulez donc me faire assassiner ! s’écria-t-il en pensant à Balstain, je tiens à ma peau, moi, maintenant que je suis riche !…

Et pris d’une sorte de panique, il s’enfuit. Martial était stupéfait.

— On dirait, pensait-il, que le misérable se repent de ce qu’il a fait.

Il n’eût pas été le seul en tout cas.

Déjà M. de Courtomieu et le duc de Sairmeuse en étaient à se reprocher mutuellement les exagérations de leurs premiers rapports, et les proportions mensongères données au soulèvement.

L’ivresse d’ambition qui les avait saisis au premier moment s’étant dissipée, ils mesuraient avec effroi les conséquences de leurs odieux calculs.