Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/34

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— Ma foi ! répondit Martial, j’avoue que la route m’a singulièrement aiguisé l’appétit.

— Doux Jésus !… s’écria la vieille gouvernante, d’un air désespéré, et moi qui n’ai rien !… C’est-à-dire, si, il me reste encore un poulet en mue, le temps de lui tordre le cou, de le plumer, de le vider…

Elle s’interrompit prêtant l’oreille, et on entendit un pas dans le corridor.

— Ah !… dit-elle, voici monsieur le curé.

Fils d’un pauvre métayer des environs de Montaignac, le curé de Sairmeuse devait aux privations de sa famille son latin et sa tonsure.

À le voir, on reconnaissait bien l’homme annoncé par le presbytère.

Grand, sec, solennel, il était plus froid que les pierres tombales de son église.

Par quels prodiges de volonté, au prix de quelles tortures avait-il ainsi façonné ses dehors ? On s’en faisait une idée en regardant ses yeux, où, par moments, brillaient les éclairs d’une âme ardente.

Bien des colères domptées avaient dû crisper ses lèvres involontairement ironiques, désormais assouplies par la prière.

Etait-il vieux ou jeune ? Le plus subtil observateur eût hésité à mettre un âge sur son visage émacié et pâli, coupé en deux par un nez immense, en bec d’aigle, mince comme la lame d’un rasoir.

Il portait une soutane blanchie aux coutures, usée et rapiécée, mais d’une propreté miraculeuse, et elle pendait le long de son corps maigre aussi misérablement que les voiles d’un navire en pantenne.

On l’appelait l’abbé Midon.

À la vue de deux étrangers assis dans son salon, il parut légèrement surpris.

La berline arrêtée à sa porte lui avait bien annoncé une visite, mais il s’attendait à trouver quelqu’un de ses paroissiens.

Personne ne l’ayant prévenu, ni à la sacristie, ni en