Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/341

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— Est-ce fini, monsieur le curé ? demandèrent-ils ; espérez-vous encore ?…

Le prêtre hocha tristement la tête, et du doigt montrant le ciel :

— J’espère en Dieu !… prononça-t-il.

L’heure, le lieu, l’émotion de l’horrible catastrophe, le danger présent, les menaces de l’avenir, tout se réunissait pour donner aux paroles du prêtre une saisissante solennité.

Si vive fut l’impression, que pendant plus d’une minute les officiers à demi-solde demeurèrent silencieux, remués profondément, eux, de vieux soldats, dont tant de scènes sanglantes avaient dû émousser la sensibilité.

Maurice qui s’approcha, suivi du caporal Bavois, les rendit au sentiment de l’implacable réalité.

— Ne devons-nous pas nous hâter d’emporter mon père, monsieur l’abbé ? demanda-t-il. Ne faut-il pas qu’avant ce soir nous soyons en Piémont ?…

— Oui !… s’écrièrent les officiers, partons !

Mais le prêtre ne bougea pas, et d’une voix triste :

— Essayer de transporter M. d’Escorval de l’autre côté de la frontière, serait le tuer, prononça-t-il.

Cela semblait si bien un arrêt de mort que tous frémirent.

— Que faire, mon Dieu !… balbutia Maurice, quel parti prendre !

Pas une voix ne s’éleva. Il était clair que du prêtre seul on attendait une idée de salut.

Lui réfléchissait, et ce n’est qu’au bout d’un moment qu’il reprit :

— À une heure et demie d’ici, au-delà de la Croix-d’Arcy, habite un paysan dont je puis répondre, un nommé Poignot, qui a été autrefois le métayer de M. Lacheneur. Il exploite maintenant, avec l’aide de ses trois fils, une ferme assez vaste. Nous allons nous procurer un brancard et porter M. d’Escorval chez cet honnête homme.