Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et si vous tenez tant à voir Maurice, soyez demain à la lande de la Rèche à midi, il y sera. Au revoir !…

Ayant dit, il se jeta brusquement de côté, franchit d’un bond le talus de l’avenue, et disparut dans les ténèbres…

— Jean !… cria Martial d’une voix presque suppliante ; Jean ! revenez ; écoutez-moi !

Pas de réponse…

Et bientôt, le bruit des souliers ferrés du frère de Marie-Anne s’éteignit sur la terre labourée…

Une sorte d’étourdissement, comme après une chute, s’était emparé du jeune marquis de Sairmeuse, et il restait debout à la même place au milieu de l’avenue, immobile, sans projets et sans pensées…

Un cheval qui passait à fond de train, lancé du côté de Montaignac, et qui en passant faillit l’écraser, le tira de cet anéantissement.

Il tressaillit comme un homme éveillé en sursaut, et la conscience de ses actes qu’il avait perdue en lisant la provocation de Maurice lui revint.

Maintenant, il pouvait juger sa conduite, comme l’ivrogne qui, l’ivresse dissipée, constate avec épouvante ses extravagances.

Etait-ce vraiment lui, Martial, le flegmatique railleur, l’homme qui vantait son sang-froid et son insensibilité parfaite, qui s’était laissé emporter ainsi !

Hélas ! oui. Et quand Blanche de Courtomieu, désormais la marquise de Sairmeuse, accusait Marie-Anne, la clairvoyance de sa jalousie ne la trompait pas absolument…

Martial, qui eût dédaigné l’opinion du monde entier, fut comme frappé de vertige, à l’idée que Marie-Anne le méprisait sans doute, et qu’elle le tenait pour un traître et pour un lâche…

C’est pour elle que, dans un accès de rage, il avait voulu une éclatante justification.

S’il suppliait Jean de le conduire près de Maurice d’espagnol