Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/381

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— Jarnibieu !… s’écria-t-il, ce serait combler la mesure…

La jeune mariée dut croire que le duc s’inquiétait et s’irritait pour elle… Mais elle se trompait. Il ne songeait qu’aux calculs de son ambition déçue.

Quoi qu’il en dit, il s’avouait, à part soi, la supériorité de son fils ; il avait confiance en son génie d’intrigue, et avant de rien résoudre, il voulait le consulter.

— C’est lui qui a fait le mal, murmurait-il, c’est à lui de le réparer !… Et, Jarnibieu ! il en est bien capable, s’il le veut !…

Et tout haut il reprit :

— Il faut retrouver Martial, il faut…

D’un geste terrible de douleur et de colère, Mme Blanche l’interrompit :

— Il faut chercher Marie-Anne, dit-elle, si vous voulez retrouver… mon mari.

Le duc avait eu une pensée pareille, il n’osa l’avouer.

— Le ressentiment vous égare, marquise, fit-il.

— Je sais ce que je sais !…

— Non !… et la preuve c’est que Martial va reparaître… S’il est sorti, il ne peut être loin… On va le chercher, je le chercherai moi-même…

Il s’éloigna en jurant entre ses dents, et alors seulement la jeune femme s’approcha de son père qui ne semblait point reprendre connaissance.

Elle lui secoua le bras, rudement, et de son accent le plus impérieux :

— Mon père !… appela-t-elle : mon père !

Cette voix, qui tant de fois l’avait fait trembler, agit sur M. de Courtomieu plus efficacement que l’eau de Cologne des domestiques. Il entr’ouvrit languissamment un œil, qu’il referma aussitôt, mais non si vite que sa fille ne s’en aperçût :

— J’ai à vous parler, insista-t-elle, relevez-vous !…

Il n’osa désobéir, et péniblement il se redressa sur la causeuse, la cravate dénouée, le visage marbré de grandes plaques rouges.