Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/396

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campagnards sont durs ! — ne pouvaient se défendre d’émotion en la regardant, et ils la plaignaient.

— Pauvre fille ! répétaient-ils entre eux, ce qu’elle mange ne lui profite guère !… il est vrai qu’elle ne mange, autant dire, rien.

— Dame ! disait le père Poignot, faut être juste : elle n’a pas de chance… Elle a été élevée comme une reine, et maintenant la voilà à la charité… Son père a été guillotiné, elle ne sait ce qu’est devenu son frère… On se ferait du chagrin à moins.

À maintes reprises, l’abbé Midon, inquiet, l’avait questionnée.

— Vous souffrez, mon enfant, lui disait-il de sa bonne voix grave, qu’avez-vous ?…

— Je ne souffre pas, monsieur le curé.

— Pourquoi ne pas vous confier à moi ? Ne suis-je pas votre ami ? Que craignez-vous ?

Elle secouait tristement la tête et répondait :

— Je n’ai rien à confier !…

Elle disait : rien. Et, cependant elle se mourait de douleur et d’angoisses.

Fidèle à la promesse que lui avait arrachée Maurice, elle n’avait rien dit, ni de sa position, ni de ce mariage à la fois nul et indissoluble, contracté dans la petite église de Vigano.

Et elle voyait approcher avec une inexprimable terreur le moment où il lui serait impossible de dissimuler sa grossesse.

Déjà elle n’y parvenait qu’au prix de tortures de tous les instants, et qu’en risquant sa vie et celle de son enfant.

Et encore réussissait-elle véritablement ?

Deux ou trois fois, l’abbé Midon avait arrêté sur elle un regard si perspicace, qu’elle en avait perdu contenance. Était-il sûr qu’il ne doutât de rien ?

Les autres ne savaient rien, elle en était certaine. Toute autre qu’elle eût peut-être été soupçonnée, mais