Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/400

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Et plus de vingt personnes la suivirent avec toutes sortes de réflexions qui bourdonnaient à ses oreilles, jusqu’à la porte du notaire où elle alla frapper.

C’était un homme considérable, ce notaire, par sa corpulence, sa fortune et la quantité d’actes qu’il faisait. Il avait la face plate et rougeaude, une façon de s’exprimer melliflue, une barbe bien taillée et des prétentions au bel esprit. On le disait à la fois pieux et gaillard.

Il accueillit Marie-Anne avec la déférence due à une héritière qui va palper une succession liquide d’une cinquantaine de mille francs…

Mais jaloux d’étaler sa perspicacité, il donna fort clairement à entendre que lui, homme d’expérience, il devinait que l’amour avait seul dicté le testament de Chanlouineau…

La résignation de Marie-Anne se révolta.

— Vous oubliez ce qui m’amène, monsieur, prononça-t-elle, vous ne me dites rien de ce que j’ai à faire ?

Le notaire, interdit du ton, s’arrêta.

— Peste ! pensa-t-il, elle est pressée de tâter les espèces, la commère !…

Et à haute voix :

— Tout sera vite terminé, dit-il ; justement le juge de paix n’a pas d’audience aujourd’hui, il sera à notre disposition pour la levée des scellés.

Pauvre Chanlouineau !… le génie des nobles passions l’avait inspiré quand il avait pris ses dispositions dernières…

Un avoué retors n’eût pas imaginé des précautions plus ingénieuses pour écarter toutes ces infinies et irritantes difficultés qui se dressent comme des buissons d’épines autour des successions.

Le soir même, les scellés étaient levés et Marie-Anne était mise en possession de la Borderie.

Elle était seule dans la maison de Chanlouineau, seule !… La nuit tombait, un grand frisson la prit. Il lui semblait qu’une des portes allait s’ouvrir, que cet hom-