Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/399

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plus blanche que la muraille contre laquelle elle s’appuya toute défaillante.

— Je ne m’étais pas trompée, se dit-elle, il sait !…

— D’ailleurs, insista l’abbé d’un ton péremptoire, il n’y a pas à hésiter.

La détermination prise, restait à en régler l’exécution avec assez d’habileté pour n’éveiller aucun soupçon, et ne laisser au hasard que le moins de prise possible.

Il fut convenu que, dans la nuit même, le père Poignot conduirait Marie-Anne jusqu’à la frontière où elle prendrait la diligence qui fait le service entre le Piémont et Montaignac, et qui traverse le village de Sairmeuse.

C’est avec le plus grand soin que l’abbé Midon avait dicté à Marie-Anne la version qu’elle donnerait de son séjour à l’étranger.

Toutes les réponses aux questions qu’on ne manquerait pas de lui adresser devaient tendre à ce but de bien persuader à tout le monde que le baron d’Escorval était caché dans les environs de Turin.

Ce qui avait été convenu fut exécuté de point en point, et le lendemain, sur les huit heures, les habitants du village de Sairmeuse virent avec une stupeur profonde Marie-Anne descendre de la diligence qui relayait.

— La fille à M. Lacheneur est ici !…

Ce mot, qui vola de maison en maison, avec une foudroyante rapidité, mit tout le village aux portes et aux fenêtres.

On vit la pauvre fille payer le prix de sa place au conducteur, remonter la grande rue suivie d’un garçon d’écurie qui portait une petite malle, et entrer à l’auberge du Bœuf couronné.

À la ville, l’indiscrétion a quelque pudeur ; on se cache pour épier. A la campagne, la curiosité, effrontément naïve, se montre sans vergogne et obsède avec une inconsciente cruauté ceux qui en sont l’objet.

Quand Marie-Anne sortit de son auberge, elle trouva devant la porte un rassemblement qui l’attendait bouche béante, les yeux largement écarquillés.