Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/416

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Cependant, il reconnut sa fille.

— Te voilà, fit-il, je t’attendais.

Elle restait sur le seuil, toute saisie, quoiqu’elle ne fût certes, ni tendre, ni impressionnable.

— Mon père !… balbutiait-elle, mon Dieu ! que vous est-il arrivé ?

Le marquis riait d’un rire strident :

— Ah ! ah !… répondit-il, je l’ai rencontré, voilà !… Il fallait bien que cela finît ainsi !… Hein ! tu doutes ! Puisque je te dis que je l’ai vu, le misérable !… Je le connais bien, peut-être, moi qui depuis un mois ai continuellement devant les yeux sa figure maudite… car elle ne me quitte pas, elle ne me quitte jamais. Je l’ai vu… C’était en forêt, près des roches de Sanguille, tu sais, là où il fait toujours sombre, à cause des grands arbres… Je revenais, lentement, pensant à lui, quand tout à coup, brusquement, il s’est dressé devant moi, étendant les bras, pour me barrer le passage :

« — Allons !… m’a-t-il crié, il faut venir me rejoindre ! » Il était armé d’un fusil, il m’a couché en joue et il a fait feu…

Le marquis s’interrompant, Mme Blanche réussit enfin à prendre sur soi de s’approcher de lui.

Durant plus d’une minute, elle attacha sur lui ce regard froid et persistant qui, dit-on, dompte les fous, puis lui secouant violemment le bras :

— Revenez à vous, mon père !… dit-elle d’une voix rude, comprenez que vous êtes le jouet d’une hallucination !… Il est impossible que vous ayez vu… l’homme que vous dites.

Quel homme croyait avoir aperçu M. de Courtomieu, la jeune femme ne le devinait que trop, mais elle n’osait, elle ne pouvait prononcer son nom.

Le marquis, cependant, continuait, en phrases haletantes :

— Ai-je donc rêvé !… Non, c’est bien Lacheneur qui m’est apparu. J’en suis sûr, et la preuve, c’est qu’il m’a rappelé une circonstance de notre jeunesse, connue seu-