Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/419

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piédestal où elle poserait en victime résignée lui souriait. L’occasion était admirable ; elle la saisit.

Jamais fille dévouée ne prodigua à un père plus de soins touchants, plus de délicates attentions. Impossible de la décider à s’éloigner une minute du chevet du malade. C’est à peine si la nuit elle consentait à dormir une couple d’heures, sur un fauteuil, dans la chambre même.

Mais pendant qu’elle restait là, jouant ce rôle de sœur de charité qu’elle s’était imposé, sa pensée suivait Chupin. Que faisait-il à Montaignac ? Épiait-il Martial, ainsi qu’il l’avait promis ?… Comme le jour qu’elle lui avait fixé était lent à venir !…

Il vint enfin, ce jeudi tant attendu, et sur les deux heures, après avoir bien recommandé son père à tante Médie, Mme Blanche s’échappa, et d’un pied fiévreux courut au rendez-vous.

Le vieux maraudeur l’attendait, assis sur un arbre renversé. Il avait presque sa physionomie d’autrefois. Depuis cinq jours qu’il avait une préoccupation, il avait presque cessé de boire, et son intelligence se dégageait des brouillards de l’ivresse.

— Parlez !… lui dit Mme Blanche.

— Volontiers ! Seulement, je n’ai rien à vous conter.

— Ah !… vous n’avez pas surveillé le marquis le Sairmeuse.

— Votre mari ?… faites excuse, je l’ai suivi comme son ombre. Mais que voulez-vous que je vous en dise ? Depuis le voyage du duc de Sairmeuse à Paris c’est M. Martial qui commande. Ah ! vous ne le reconnaîtriez plus. Toujours en affaires, maintenant. Dès le patron-minet il est debout, et il se couche comme les poules. Toute la matinée, il écrit des lettres. Dans l’après-midi, il reçoit tous ceux qui se présentent. Lui qui était haut comme le temps, autrefois, il fait le pas fier, le bon enfant, le câlin, il donne des poignées de main au premier venu. Les officiers à demi-solde sont à pot et à feu avec lui ; il en a déjà replacé cinq ou six, il a fait