Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/425

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— Je ne veux pas m’aventurer à la légère, ajouta-t-elle vivement. Ne perdez plus Martial de vue… S’il va à la Borderie, et il ira, j’en dois être informée… S’il écrit, et il écrira, tâchez de vous procurer une de ses lettres… Désormais je veux vous voir tous les deux jours… Ne vous endormez pas !… Songez à gagner la bonne place que je vous réserve à Courtomieu… Allez !…

Il s’éloigna, sans souffler mot, mais aussi sans prendre la peine de dissimuler son désappointement et son mécontentement.

— Fiez-vous donc à toutes ces mijaurées ! grommela-t-il. Celle-là jetait les hauts cris, elle voulait tout tuer, tout brûler, tout détruire, elle ne demandait qu’une occasion… L’occasion se présente, le cœur lui manque, elle recule… elle a peur !…

Le vieux maraudeur jugeait mal Mme Blanche.

Le mouvement d’horreur qu’elle venait de laisser voir était une instinctive révolte de la chair et non pas une défaillance de son inflexible volonté.

Ses réflexions n’étaient pas de nature à désarmer sa haine.

Quoi que lui eût dit Chupin, lequel, avec tout Sairmeuse, était persuadé que la fille à Lacheneur revenait du Piémont, Mme Blanche s’entêtait à considérer ce voyage comme une fable ridicule.

Dans son opinion, Marie-Anne sortait tout simplement de la retraite où Martial avait jugé prudent de la cacher jusqu’à ce jour.

Or, pourquoi cette brusque apparition ?

La vindicative jeune femme était prête à jurer que c’était une insulte et une bravade à son adresse.

— Et je me résignerais !… s’écria-t-elle. Ah ! j’arracherais mon cœur s’il était capable d’une si indigne lâcheté.

La voix de sa conscience ne domina jamais le tumulte de sa passion. Ses souffrances lui semblaient tout autoriser, et l’attentat de Jean Lacheneur lui paraissait justifier d’avance les pires représailles.