Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/430

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Mais cette conviction même ne pouvait lui rendre le calme.

C’est qu’elle était de ces âmes hautes et fières, plus sensibles au murmure de la conscience qu’aux clameurs de l’opinion.

Dans le public, on lui attribuait trois amants : Chanlouineau, Martial et Maurice, on les lui avait jetés au visage, mais cette calomnie ne l’avait pas émue. Ce qui la torturait, c’était ce qu’on ne savait pas : la vérité.

Cette amère pensée : j’ai failli, ne la quittait pas, et pareille à un ver logé au cœur d’un bon fruit, la minait sourdement et la tuait.

Et ce n’était pas tout !

L’instinct sublime de la maternité s’était éveillé en elle le soir du départ du médecin. Quand elle l’entendit s’éloigner, emportant son enfant, elle sentit au dedans d’elle-même comme un horrible déchirement. Ne le reverrait-elle donc plus, ce petit être qui lui était deux fois cher par la douleur et par les angoisses ? Les larmes jaillirent de ses yeux, à cette idée que son premier sourire ne serait pas pour elle.

Ah !… sans le souvenir de Maurice, comme elle eût fièrement bravé l’opinion et gardé son enfant !…

Sa nature sincère et vaillante eût moins souffert des humiliations que de cet abandon si douloureux et du continuel mensonge de sa vie.

Mais elle avait promis : Maurice était son mari, en définitive, le maître, et la raison lui disait qu’elle devait conserver pour lui, non son honneur, hélas !… mais les apparences de l’honneur…

Enfin, et pour comble, son sang se figeait dans ses veines, quand elle pensait à son frère.

Ayant appris que Jean rôdait dans le pays, elle avait envoyé à sa recherche, et après bien des tergiversations, un soir, il se décida à paraître à la Borderie.

Rien qu’à le voir, son fusil double à l’épaule, maintenu par la bretelle, on s’expliquait les terreurs de Chupin.