Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/449

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doute, cet individu qui avait sifflé venait lui annoncer l’arrivée de son amant, et elle était sortie pour courir au-devant de lui.

Même, une circonstance futile prouvait que ce messager n’était pas attendu.

Sur la cheminée se trouvait un bol plein de bouillon encore fumant.

Il était clair que Marie-Anne s’apprêtait à le boire, quand elle avait été surprise par le signal…

Mais qu’importait ce détail à Mme Blanche !…

Elle se demandait quel profit tirer pour sa vengeance de sa découverte, lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur une grande boîte de chêne, ouverte sur une table, près de la porte vitrée du cabinet de toilette, et toute remplie de fioles et de petits pots.

Machinalement, elle s’approcha, et parmi les flacons, elle en distingua deux, de verre bleus, bouchés à l’émeri, sur lesquels le mot : poison, était écrit au-dessus de caractères indéchiffrables.

Poison !… Mme Blanche fut plus d’une minute sans pouvoir détourner les yeux de ce mot qui la fascinait.

Une diabolique inspiration associait dans son esprit le contenu de ces flacons et le bol resté sur la cheminée.

— Et pourquoi pas !… murmura-t-elle, je m’esquiverais après…

Une réflexion terrible l’arrêta.

Martial allait rentrer avec Marie-Anne, qui pouvait dire que ce ne serait pas lui qui boirait le contenu du bol !…

— Dieu décidera !… murmura la jeune femme. Mieux vaut d’ailleurs savoir son mari mort qu’appartenant à une autre femme !…

Et d’une main ferme, elle prit au hasard un des flacons…

Depuis son entrée à la Borderie, Mme Blanche n’avait pas, on peut le dire, conscience de ses actes. La haine a des égarements qui troublent le cerveau comme les vapeurs de l’alcool.