Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/450

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Mais l’impression terrible qu’elle ressentit au contact du verre dissipa son ivresse ; elle rentra en pleine possession de soi, la faculté de délibérer lui revint…

Et la preuve, c’est que sa première pensée fut celle-ci :

— J’ignore jusqu’au nom de ce poison que je tiens… Quelle dose en dois-je mettre ? En faut-il beaucoup ou très-peu ?…

Elle déboucha le flacon non sans peine, et versa quelque peu de son contenu dans le creux de sa main.

C’était une poudre blanche, très-fine, scintillante comme s’il s’y fût trouvé de la poussière de verre, et ressemblant beaucoup à du sucre pilé.

— Serait-ce vraiment du sucre ? pensa Mme Blanche.

Résolue à s’en assurer, elle mouilla légèrement le bout de son doigt et prit quelques atomes de cette poudre blanche, qu’elle posa sur sa langue et qu’elle cracha aussitôt.

Sa sensation fut celle que lui eût donné un morceau de pomme très-sûre.

— L’étiquette ne ment sans doute pas, murmura-t-elle, avec un terrible sourire.

Et, sans hésiter, sans pâlir, sans remords, elle laissa tomber dans la tasse tout ce que contenait le flacon…

Elle avait si bien tout son sang-froid, qu’elle songea que cette poudre serait peut-être lente à se dissoudre, et qu’elle eut la sinistre prévoyance de l’agiter avec une cuiller pendant plus d’une minute.

Cela fait, — elle pensait à tout, — elle goûta le bouillon. Il avait une saveur légèrement âpre, mais trop peu sensible pour éveiller des défiances…

Alors, Mme Blanche respira. Qu’elle réussît à s’esquiver maintenant, et elle était vengée, et elle était assurée de l’impunité…

Déjà elle se dirigeait vers la porte, quand un bruit de pas dans l’escalier la terrifia.

Deux personnes montaient… Où fuir, où se cacher ?…

Elle se sentait si bien prise et perdue, qu’elle eu l’i-