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avait légué son père : vingt à vingt-cinq mille livres de rentes au plus.

Cette simple maison, à trois quarts de lieues de Sairmeuse, représentait ses économies de dix années.

Lui-même l’avait fait bâtir vers 1806, sur un plan tracé de sa main, et elle était devenue son séjour de prédilection.

Il se hâtait d’y accourir dès que ses travaux lui laissaient quelques journées, heureux de la solitude et des ombrages de son parc.

Mais cette fois il n’était pas venu à Escorval de son plein gré.

Il venait d’y être exilé par la liste de mort et de proscription du 24 juillet, cette même liste fatale qui envoyait devant un conseil de guerre l’enthousiaste Labédoyère et l’intègre et vertueux Drouot.

Cependant, en cette solitude même des campagnes de Montaignac, sa situation n’était pas exempte de périls.

Il était de ceux qui, quelques jours avant le désastre de Waterloo, avaient le plus vivement pressé l’Empereur de faire fusiller Fouché, l’ancien ministre de la police.

Or, Fouché savait ce conseil et il était tout-puissant.

— Gardez-vous !… écrivaient à M. d’Escorval ses amis de Paris.

Lui s’en remettait à la Providence, envisageant l’avenir, si menaçant qu’il dût paraître, avec l’inaltérable sérénité d’une conscience pure.

Le baron d’Escorval était un homme jeune encore, il n’avait pas cinquante ans ; mais les soucis, les travaux, les nuits passées aux prises avec les difficultés les plus ardues de la politique impériale l’avaient vieilli avant l’âge.

Il était grand, légèrement chargé d’embonpoint et un peu voûté.

Ses yeux calmes malgré tout, sa bouche sérieuse, son large front dépouillé, ses manières austères inspiraient le respect.