Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/46

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— Il doit être dur et inflexible, disaient ceux qui le voyaient pour la première fois.

Ils se trompaient.

Si, dans l’exercice de ses fonctions, ce grand homme ignoré sut résister à tous les entraînements et aux plus furieuses passions, s’il restait de fer dès qu’il s’agissait du devoir, il redevenait dans la vie privée simple comme l’enfant, doux et bon jusqu’à la faiblesse.

À ce beau caractère, noblement apprécié, il dut la félicité de sa vie.

Il lui dut ce bonheur du ménage, que n’envie pas le vulgaire qui l’ignore, bonheur rare et précieux, si pénétrant et si doux, qui emplit la vie et l’embaume comme un céleste parfum.

À l’époque la plus sanglante de la Terreur, M. d’Escorval avait arraché au bourreau une jeune ci-devant, Victoire-Laure de l’Alleu, arrière-cousine des Rhéteau de Commarin, belle comme un ange et moins âgée que lui de trois ans seulement.

Il l’aima… et bien qu’elle fût orpheline et qu’elle n’eût rien, il l’épousa, estimant que les trésors de son cœur vierge valaient la dot la plus magnifique.

Celle-là fut une honnête femme, comme son mari était un honnête homme, dans le sens strict et rigoureux du mot.

On la vit peu aux Tuileries, dont le rang de M. d’Escorval lui ouvrit les portes. Les splendeurs de la cour impériale, qui dépassaient alors les pompes de Louis XIV, n’avaient pas d’attraits pour elle.

Grâces, beauté, jeunesse, elle réservait pour l’intimité du foyer les qualités exquises de son esprit et de son cœur.

Son mari fut son Dieu, elle vécut en lui et par lui, et jamais elle n’eut une pensée qui ne lui appartint.

Les quelques heures qu’il dérobait pour elle à ses labeurs opiniâtres étaient ses heures de fête.

Et lorsque le soir, à la veillée, ils étaient assis chacun d’un côté de la cheminée de leur modeste salon, avec