Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/460

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Pouvait-elle dire quels hôtes elle attendait ?…

Nommer le baron d’Escorval à Mme Blanche, n’était-ce pas le perdre, le livrer !… On espérait sa grâce, un sauf-conduit, la révision de son jugement ; il n’en était pas moins sous le coup d’une condamnation à mort, exécutoire dans les vingt-quatre heures…

— Ainsi, c’est bien décidé, insista Mme Blanche, tu refuses de me dire qui doit venir ici, dans une heure, à minuit !…

— Je refuse.

Mais une idée était venue à Marie-Anne.

Bien que le moindre mouvement lui causât une douleur aiguë, elle eut assez d’énergie pour dégrafer sa robe, et déchirant son corset, elle en retira un papier plié menu.

— Je ne suis pas la maîtresse du marquis de Sairmeuse, prononça-t-elle d’une voix défaillante, je suis la femme de Maurice d’Escorval ; en voici la preuve, lisez…

Mme Blanche n’eut pas plus tôt lu que ses traits subitement se décomposèrent ; elle devint pâle autant que sa victime, sa vue se troublait, les oreilles lui tintaient, elle se sentait trempée d’une sueur froide.

Ce papier, c’était le certificat du mariage religieux de Maurice et de Marie-Anne, signé par le curé de Vigano, par le vieux médecin et par le caporal Bavois, daté et scellé du sceau de la paroisse…

La preuve était indiscutable.

Une lueur foudroyante se fit dans l’esprit de Mme Blanche.

Elle avait commis un crime inutile, elle venait d’assassiner une innocente…

Le premier bon mouvement de sa vie fit battre son cœur plus vite, elle ne calcula rien, elle oublia à quels périls elle s’exposait, et d’une voix vibrante :

— A moi !… s’écria-t-elle, à l’aide !… au secours !…

Onze heures sonnaient, tout dormait ; la ferme la plus voisine de la Borderie en était distante d’un quart de lieue.