Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/461

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La voix de Mme Blanche devait se perdre dans l’immense solitude de la nuit.

En bas, dans le jardin, tante Médie entendait sans doute, mais elle se fût laissée hacher en morceaux plutôt que d’entrer.

Et cependant, il se trouva quelqu’un pour recueillir ces cris de détresse.

Moins éperdues de douleur et d’épouvante, les deux jeunes femmes eussent remarqué le bruit de l’escalier, craquant sous le poids d’un homme qui montait à pas muets…

Ce n’était pas un sauveur, car il ne se montra pas.

Mais fût-on venu aux appels désespérés de Mme Blanche, il était trop tard.

Marie-Anne comprenait bien qu’il n’était plus d’espoir pour elle, et que c’était le froid de la mort qui peu à peu gagnait son cœur. Elle sentait que la vie lui échappait.

Aussi, quand Mme Blanche parut prête à s’élancer dehors pour courir chercher des secours, elle la retint d’un geste doux, et d’une voix éteinte :

— Blanche !… murmura-t-elle.

L’empoisonneuse s’arrêta.

— N’appelle plus, poursuivit Marie-Anne, reprenant, elle aussi, le tutoiement d’autrefois, à quoi bon ! Reste, tiens-toi tranquille, que du moins je puisse finir en paix… va, ce ne sera pas long !…

— Tais-toi ! ne parle pas ainsi ! Il ne faut pas, je ne veux pas que tu meures !… Si tu mourais, grand Dieu !… quelle serait ma vie, après !

Marie-Anne ne répondit pas… Le poison poursuivait son œuvre de dissolution. Sa respiration sifflait dans sa gorge enflammée ; sa langue, lorsqu’elle la remuait, lui causait dans la bouche l’affreuse sensation d’un fer rouge ; ses lèvres se tuméfiaient, et ses mains paralysées, inertes, n’obéissaient plus à sa volonté.

Mais l’horreur même de la situation rendit à Mme Blanche une lueur de raison.