Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/463

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Mme Blanche était comme frappée de vertige.

— Je jure !… dit-elle, je jure !…

— Eh bien ! à ce prix, mais à ce prix seulement, je te pardonne ! Mais prends garde ! N’oublie pas que tu as juré !… Blanche, Dieu permet parfois que les morts se vengent !… Tu as juré, souviens-toi ! Mon fantôme ne t’accordera le sommeil qu’après que tu auras tenu ton serment.

— Je me souviendrai, balbutia Mme Blanche, je me souviendrai. Mais… ton enfant…

— Ah !… j’ai eu peur… Lâche créature que je suis, j’ai reculé devant la honte… puis, Maurice commandait… Je me suis séparée de mon enfant… ta jalousie et ma mort sont le châtiment… Pauvre être… je l’ai livré à des étrangers… Malheureuse que je suis… malheureuse… Ah ! c’est trop souffrir… Blanche, souviens-toi !…

Elle bégaya quelques mots encore, mais indistincts, incompréhensibles…

Mme Blanche, hors de soi, eut la force de lui prendre le bras, et de le secouer…

— À qui as-tu confié ton enfant, répéta-t-elle, à qui ?… où ?… Marie-Anne… un mot encore, un seul, un nom, Marie-Anne !

Les lèvres de l’infortunée s’agitèrent, mais sa gorge ne rendit qu’un râle sourd…

Elle s’était affaissée sur son fauteuil ; une convulsion suprême la tordit comme un lien de fagot ; elle glissa sur le tapis et tomba tout de son long, sur le dos…

Marie-Anne était morte… morte sans avoir pu prononcer le nom du vieux médecin de Vigano…

Elle était morte, et l’empoisonneuse terrifiée demeurait au milieu de la chambre, livide et plus raide qu’une statue, l’œil démesurément agrandi, le front moite d’une sueur glacée…

Toutes ses pensées tourbillonnaient comme des feuilles au souffle furieux de l’ouragan ; il lui semblait que la folie — une folie comme celle de son père — envahissait son cerveau. Elle oubliait tout, elle s’oubliait elle--