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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/464

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même, elle ne se rappelait plus qu’un hôte devait arriver à minuit, que l’heure volait, qu’elle allait être surprise si elle ne fuyait pas.

Mais l’homme qui était venu quand elle avait crié au secours, veillait sur elle. Quand il vit que Marie-Anne avait rendu le dernier soupir, il fit un peu de bruit contre la porte et allongea sa figure grimaçante.

— Chupin !… balbutia Mme Blanche, rappelée au sentiment de la réalité.

— En personne naturelle, répondit le vieux maraudeur. C’est une fière chance que vous avez !… Eh ! eh !… ça vous a trifouillé l’estomac, toute cette affaire… Bast ! ça passera. Mais il s’agit de ne pas moisir ici, on peut venir… Allons, arrivez !…

Machinalement, l’empoisonneuse avança, mais le cadavre de Marie-Anne était en travers de la porte, barrant le passage ; pour sortir, il fallait le franchir, elle n’eut pas ce courage et recula toute chancelante…

— Hein !… qu’est-ce, fit Chupin, vous êtes incommodée…

Et comme il n’avait pas ces scrupules, il enjamba le corps, enleva Mme Blanche comme un enfant et l’emporta…

Le vieux maraudeur était tout en joie. L’avenir ne l’inquiétait plus, maintenant que Mme Blanche était rivée à lui, par cette chaîne plus solide que celle des forçats, la complicité d’un crime.

Il se sentait sur la planche, ainsi qu’il se le disait, une vie de seigneur, des années de bombances et de ribotes. Les remords de sa délation, si terribles au commencement, ne le troublaient plus guère. Il se voyait nourri, logé, renté, vêtu, bien gardé surtout par une armée de domestiques.

Cependant, Mme Blanche, qui s’était trouvée mal, fut ranimée par le grand air.

— Je veux marcher, dit-elle.

Chupin la déposa à terre, à vingt pas de la maison. Alors, elle se souvint.