Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/468

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L’escalier était si raide et si étroit qu’on eut toutes les peines du monde à descendre le baron. On l’étendit sur le matelas, et en cas de fâcheuse rencontre, on étendit sur lui quelques brassées de paille qui le cachaient entièrement….

— Adieu donc !… dit le vieux fermier, ou plutôt au revoir, monsieur le baron, madame la baronne, et vous aussi monsieur le curé…

Puis, quand la dernière poignée de main eut été échangée :

— Y sommes-nous ? demanda le fils Poignot.

— Oui, répondit le baron.

— Alors en route !… hue ! le gris !…

La charrette roula, conduite avec les plus extrêmes précautions par le jeune paysan, à qui son père avait bien recommandé d’éviter les cahots.

À une vingtaine de pas en arrière, marchait Mme d’Escorval donnant le bras à l’abbé Midon.

La nuit était noire, mais eût-il fait grand jour, l’ancien curé de Sairmeuse pouvait, sans courir le risque d’être reconnu, défier l’œil de tous ses paroissiens.

Il avait laisse croître ses cheveux et sa barbe, sa tonsure avait depuis longtemps disparu, et le manque d’exercice avait épaissi sa taille. Il était vêtu comme tous les paysans aisés des environs, d’une veste et d’un pantalon de ratine, et il était coiffé d’un immense chapeau de feutre qui lui tombait jusque sur le nez.

Il y avait bien des mois qu’il ne s’était senti l’esprit si libre. Les obstacles qui lui avaient paru le plus insurmontables ne s’aplanissaient-ils pas comme d’eux-mêmes ?

Il se représentait dans un avenir prochain le baron rétabli, déclaré innocent par des juges impartiaux, reprenant son ancienne existence à Escorval. Il se voyait lui-même, comme autrefois, dans son presbytère de Sairmeuse…

Seul, le souvenir de Maurice troublait cette sécurité. Comment ne donnait-il pas signe de vie ?…

— Mais s’il lui était arrivé malheur, nous le saurions,