Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/49

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rice les dents serrées, en suivant de l’œil son ennemi qui s’éloignait.

Il se retourna alors, mais Marie-Anne et son père l’avaient abandonné, et il les aperçut à plus de cent pas. Bien que cette indifférence le confondit, il s’empressa de les rejoindre, et adressa la parole à M. Lacheneur.

— Nous allons chez votre père, lui fut-il répondu d’un ton farouche.

Un regard de son amie lui commandait le silence, il se tut et se mit à marcher à quelques pas en arrière, la tête inclinée sur la poitrine, mortellement inquiet et cherchant vainement à s’expliquer ce qui se passait.

Son attitude trahissait une si réelle douleur, que sa mère la devina, lorsqu’enfin, du haut de la terrasse, elle l’aperçut au tournant du chemin.

Toutes les angoisses que la courageuse femme dissimulait depuis un mois se résumèrent en un cri.

— Ah !… voici le malheur !… dit-elle… nous n’y échapperons pas.

C’était le malheur, on n’en pouvait douter à la seule vue de M. Lacheneur lorsqu’il entra dans le salon d’Escorval.

Il s’avançait du pas lourd d’un ivrogne, l’œil morne et sans expression, la face injectée, les lèvres blanches et tremblantes.

— Qu’y a-t-il !… demanda vivement le baron…

Mais l’autre ne sembla pas l’entendre.

— Ah !… je l’avais bien prévu, murmura-t-il, continuant un monologue commencé dehors, je l’avais bien dit à ma fille…

Mme d’Escorval, après avoir embrassé Marie-Anne, l’avait attirée près d’elle.

— Que se passe-t-il, mon Dieu ! interrogeait-elle.

D’un geste empreint de la plus désolante résignation, la jeune fille lui fit signe de regarder et d’écouter son père.

M. Lacheneur paraissait sortir de cet horrible anéantissement, — bienfait de Dieu, — qui suit les crises trop