Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/496

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soufflant, tremblant d’épouvante, les étriers battant ses flancs haletants et ruisselants de sueur…

Qu’était donc devenu le maître ?

On se mit en quête aussitôt, et toute la nuit vingt domestiques armés de torches battirent les bois en appelant de toutes leurs forces.

Mais ce n’est qu’au bout de cinq jours, et quand on renonçait presque aux recherches, qu’un petit pâtre, tout pâle de saisissement, vint annoncer au château qu’il avait découvert, au fond d’un précipice, le cadavre fracassé et sanglant du duc de Sairmeuse.

Comment avait-il roulé là, lui, si excellent cavalier ? Cet accident eût paru louche, sans l’explication que donnèrent les palfreniers.

— M. le duc montait une bête très-ombrageuse, dirent ces hommes, elle aura eu peur, elle aura fait un écart… il n’en faut pas davantage.

Ce n’est que la semaine suivante que Jean Lacheneur abandonna définitivement le pays.

La conduite de ce singulier garçon avait donné lieu à bien des conjectures.

Marie-Anne morte, il avait commencé par refuser son héritage.

— Je ne veux rien de ce qui lui vient de Chanlouineau, répétait-il partout, calomniant ainsi la mémoire de sa sœur comme il avait calomnié sa vie.

Puis, à quelques jours de là, après une courte absence, sans raison apparente, ses résolutions changèrent brusquement.

Non-seulement il accepta la succession, mais il fit tout pour hâter les formalités.

On eût dit qu’il méditait quelque méchante action et qu’il s’efforçait d’écarter les soupçons, tant il mettait d’insistance à justifier sa conduite et à donner, à tout propos, les explications les plus embrouillées.

A l’entendre, il n’agissait pas pour lui, il ne faisait que se conformer aux volontés de Marie-Anne mourante ;