Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/495

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Des ruines noircies par l’incendie, sur les landes de la Rèche.

Une tombe, au cimetière, où on lisait :

        Marie-Anne Lacheneur, morte à vingt ans.
             Priez pour elle !…

Seuls, quelques vieux politiques de village, en dépit des soucis des récoltes et des semailles, se souvenaient…

Souvent, les longs soirs d’hiver, à Sairmeuse, quand ils se réunissaient au Bœuf couronné pour faire la partie, ils posaient leurs cartes grasses et gravement s’entretenaient des choses de l’an passé.

Pouvaient-ils ne pas remarquer que presque tous les acteurs de ce drame sanglant de Montaignac avaient eu « une mauvaise fin ? »

Vainqueurs et vaincus semblaient poursuivis par une même fatalité inexorable.

Et que de noms déjà sur la liste funèbre !…

Lacheneur, mort sur l’échafaud.

Chanlouineau, fusillé.

Marie-Anne empoisonnée.

Chupin, le traître, assassiné.

Le marquis de Courtomieu, lui, vivait, ou plutôt se survivait. Mais la mort devait paraître un bienfait, comparée à cet anéantissement de toute intelligence. Il était tombé bien au-dessous de la brute, qui, du moins, a ses instincts. Depuis le départ de sa fille, il restait confié aux soins de deux valets qui, avec lui, en prenaient à leur aise. Ils l’enfermaient, quand ils avaient envie de sortir, non dans sa chambre, mais à la cave, pour qu’on n’entendit pas ses hurlements du dehors.

Un moment, on crut que les Sairmeuse éviteraient la destinée commune ; on se trompait. Ils ne devaient pas tarder à payer leur dette au malheur.

Par une belle matinée du mois de décembre, le duc de Sairmeuse partit, à cheval, pour courre un loup signalé aux environs.

A la nuit tombante, le cheval rentra seul, renâclant et