Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/501

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— Eh bien ! Blanche, dit-elle, nous en sommes quittes pour la peur.

La jeune femme ne répondit pas.

Encore sous le coup de sa terrible émotion, toute saisie des façons de Martial, elle réfléchissait, s’efforçant de déterminer les conséquences probables de tous ces événements qui se succédaient avec une foudroyante rapidité.

— Peut-être l’heure de ma revanche va-t-elle sonner, murmura Mme Blanche, comme se parlant à soi-même.

— Hein ! Tu dis ? interrogea curieusement la parente pauvre.

— Je dis, tante, qu’avant un mois je serai marquise de Sairmeuse autrement que de nom. Mon mari me sera revenu, et alors… oh ! alors…

— Dieu t’entende ! fit hypocritement tante Médie.

Au fond elle croyait peu à la prédiction, et qu’elle se réalisât ou non, peu lui importait.

— Encore une preuve, reprit-elle tout bas de ce ton que prennent deux complices quand ils parlent de leur crime, encore une preuve que ta jalousie s’est trompée, là-bas, à la Borderie, et que… ce que tu as fait était inutile.

Tel avait été, tel n’était plus l’avis de Mme Blanche.

Elle hocha la tête, et de l’air le plus sombre :

— C’est, au contraire, ce qui s’est passé là-bas qui me ramène mon mari, répondit-elle. J’y vois clair, à cette heure… C’est vrai, Marie-Anne n’était pas la maîtresse de Martial, mais Martial l’aimait… Il l’aimait, et les résistances qu’il avait rencontrées avaient exalté sa passion jusqu’au délire. C’est bien pour cette créature qu’il m’avait abandonnée, et jamais, tant qu’elle eût vécu, il n’eût seulement pensé à moi… Son émotion en me voyant, c’était un reste de son émotion quand il a vu l’autre… Son attendrissement n’était qu’une expression de sa douleur… Quoi qu’il advienne, je n’aurai que les restes de cette créature, que ce qu’elle a dédaigné !…