Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle échappait en effet à la justice des hommes…

Restait la justice de Dieu.

Quelques semaines plus tôt, cette idée de « la justice de Dieu » eût peut-être amené un sourire sur les lèvres de Mme Blanche.

Femme positive s’il en fut, un peu esprit fort même, à ce qu’elle prétendait, elle eût traité cette incompréhensible justice de lieu commun de morale ou encore d’épouvantail ingénieux imaginé pour contenir dans les limites du devoir les consciences timorées…

Le lendemain de son crime, elle haussait presque les épaules en songeant aux menaces de Marie-Anne mourante…

Elle se souvenait de son serment, mais elle n’était plus disposée à le tenir.

Elle avait réfléchi, et elle avait vu à quels périls elle s’exposerait en faisant rechercher l’enfant de Marie-Anne.

— Le père saura bien le retrouver, songeait-elle.

Ce que valaient les menaces de sa victime, elle devait l’éprouver le soir même…

Brisée de fatigue, elle s’était retirée dans sa chambre de fort bonne heure, et, au lieu de lire, comme elle en avait l’habitude, elle éteignit sa bougie dès qu’elle fut couchée, en se disant :

— Il faut dormir.

Mais c’en était fait du repos de ses nuits…

Son crime se représentait à sa pensée, et elle en jugeait l’horreur et l’atrocité… Elle se percevait double, pour ainsi dire ; elle se sentait dans son lit, à Courtomieu, et cependant il lui semblait être là-bas, dans la maison de Chanlouineau, versant le poison, puis ensuite épiant ses effets, cachée dans le cabinet de toilette…

Elle luttait, elle dépensait toute la puissance de sa volonté pour écarter ces souvenirs odieux, quand elle crut entendre grincer une clef dans sa serrure. Brusquement elle se dressa sur ses oreillers.

Alors, aux lueurs pâles de sa veilleuse, elle crut voir