Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/513

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— Ainsi, pensait-elle, me voici maintenant et pour toujours liée à cette dangereuse et perfide créature. Je ne m’appartiens plus, je suis à elle. Qu’elle exige, je devrai obéir. Il me faudra adorer ses caprices… et elle a quarante ans d’humiliation et de servitude à venger.

Les perspectives de cette existence commune la faisaient frémir, et elle se torturait à chercher par quels moyens elle parviendrait à se débarrasser de cette complice.

Elle n’en apercevait aucun pour le présent, mais il lui semblait en entrevoir vaguement plusieurs dans l’avenir…

Serait-il donc impossible, avec beaucoup d’adresse, d’inspirer à tante Médie l’ambition de vivre indépendante dans une maison à soi, servie par des gens à soi !…

Était-il prouvé qu’on ne réussirait pas à pousser au mariage cette vieille folle, qui paraissait avoir encore des velléités de coquetterie et la passion de la toilette… L’appât d’une bonne dot attirerait toujours un mari.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il fallait à Mme Blanche de l’argent, beaucoup d’argent, dont elle pût disposer sans avoir à en rendre compte à personne.

Cette conviction la décida à détourner de la fortune de son père, une somme de deux cent cinquante mille francs environ, en billets et en or…

Cette somme représentait les économies du marquis de Courtomieu depuis trois ans, personne ne la lui connaissait, et maintenant qu’il était devenu imbécile, sa fille, qui connaissait la cachette, pouvait sans danger s’emparer du trésor.

— Avec cela, se disait la jeune femme, je puis, à un moment donné, enrichir tante Médie, sans avoir recours à Martial.

La tante et la nièce semblaient d’ailleurs, depuis la scène décisive, vivre mieux qu’en bonne intelligence. C’était, entre elles, un perpétuel échange d’attentions délicates et de soins touchants.