Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/512

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même… Non, je ne ferais pas cela, seulement, je raconterais à ton mari l’histoire de la Borderie.

La jeune femme frissonna. Nulle menace n’était capable de l’épouvanter autant que celle-là.

— Tu viendras avec nous, tante, lui dit-elle, je te le promets.

Et plus doucement :

— Mais il était inutile de me menacer. Tu as été cruelle, tante, et injuste en même temps. Il se peut que tu aies été fort malheureuse dans notre maison ; c’est à toi seule que tu dois t’en prendre. Pourquoi ne nous rien dire ?… J’attribuais toutes tes complaisances à ton amitié pour moi…

Elle eut un sourire contraint et ajouta encore :

— Quant à deviner que toi, une femme si simple et si modeste, tu souhaitais des toilettes tapageuses… avoue que c’était impossible. Ah ! si j’avais su !… Mais tranquillise-toi, je réparerai ma sottise…

Et comme la parente pauvre, ayant obtenu ce qu’elle voulait, balbutiait quelques excuses :

— Bast ! s’écria Mme Blanche, oublions cette vilaine querelle… Tu me pardonnes, n’est-ce pas ?… Allons, viens, embrasse-moi comme autrefois.

La tante et la nièce s’embrassèrent en effet, avec de grandes effusions de tendresse, comme deux amies qu’un malentendu a failli séparer.

Mais les patelinages de cette réconciliation forcée ne trompaient pas plus l’inepte tante Médie que la perspicace Mme Blanche.

— Ah ! je ferai sagement de rester sur le qui-vive, pensait la parente pauvre. Dieu sait avec quel bonheur ma chère nièce m’enverrait rejoindre Marie-Anne.

Peut-être, en effet, quelque pensée pareille traversa-t-elle l’esprit de Mme Blanche.

Sa sensation était celle du forçat qui verrait river à sa chaîne d’ignominie son ennemi le plus exécré, son dénonciateur, par exemple, l’agent de police qui l’a arrêté.