Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/534

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devenu ? Ce silence semblait à Mme Blanche menaçant comme le calme qui précède l’orage.

Un journal lui donna le mot de l’énigme.

Chupin était en prison.

Le misérable, un soir qu’il avait bu plus que de coutume, s’était pris de querelle avec son frère, et l’avait assommé à coups de barre de fer.

Le sang de Lacheneur vendu par le vieux braconnier, retombait sur la tête de ses enfants.

Traduit en cour d’assises, Chupin fut condamné à vingt ans de travaux forcés et envoyé à Brest.

Cette condamnation ne devait pas rendre la paix à Mme Blanche. Le meurtrier lui avait écrit de sa prison de Paris, dès qu’il n’avait plus été au secret ; il lui écrivait du bagne.

Mais il n’envoyait pas ses lettres par la poste. Il les confiait à des camarades qui avaient fait leur temps, qui se présentaient à l’hôtel de Sairmeuse et qui demandaient à parler à Mme la duchesse.

Et elle les recevait. Ils lui racontaient toutes les misères qu’on endure là-bas « au pré, » et leur commission faite, ils finissaient toujours par réclamer quelque petit secours…

Enfin, un matin, un homme dont les regards lui firent peur lui apporta ce laconique billet :

« Je m’ennuie à crever ici ; quitte à risquer ma peau, je veux m’évader. Venez à Brest ; vous visiterez le bagne, je vous verrai et nous nous entendrons. Et que ça ne traîne pas, sinon je m’adresse au duc, qui m’obtiendra ma grâce en échange de ce que je lui apprendrai. »

Mme Blanche demeura un moment anéantie… il était impossible, croyait-elle, de crouler plus bas.

— Eh bien ! demanda l’homme, d’une voix affreusement enrouée, quelle réponse faut-il faire au camarade ?

— J’irai, dites-lui que j’irai !…

Elle fit le voyage, en effet, elle visita le bagne, mais elle n’aperçut pas Chupin.