Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/533

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essayait de l’emplir de bruit et d’agitations. Lui, le sceptique par excellence, il recherchait les émotions du pouvoir. Il s’était jeté dans la politique comme un vieux lord blasé se met au jeu.

Il est juste de dire aussi que Mme Blanche sut rester supérieure aux événements et jouer avec une héroïque constance la comédie du bonheur.

Les plus atroces souffrances n’effacèrent jamais de sa physionomie cette hauteur sereine, qui annonce le contentement de soi et le dédain d’autrui, et qui est la plus saisissante expression de l’orgueil.

Devenue en peu de temps une de ces reines que Paris adopte, c’est avec une sorte de frénésie qu’elle se ruait au plaisir. Cherchait-elle à s’étourdir ? Espérait-elle que l’excès de la fatigue anéantirait la pensée ?

À tante Médie seule, et encore à de rares intervalles, Mme Blanche laissa voir le fond de son âme.

— Je suis, répétait-elle, comme un condamné qu’on aurait lié sur l’échafaud, et qu’on aurait abandonné en lui disant : Vis jusqu’à ce que le couperet tombe de lui-même.

Et en effet, que fallait-il pour que le couperet tombât, c’est-à-dire pour que Martial découvrît tout ? une circonstance fortuite, un mot, un rien, un caprice du hasard… elle n’osait dire un arrêt de la Providence.

C’était bien là, en effet, dans toute son horreur, la situation de cette belle et noble duchesse de Sairmeuse, tant enviée et tant adulée. « Elle a tous les bonheurs, » disait-on. Et elle, cependant, se sentait glisser peu à peu tout au fond d’abîmes indéfinissables.

Pareille au matelot désespérément accroché à une épave, elle interrogeait l’horizon d’un œil éperdu, et elle n’apercevait que tempêtes et désastres.

Les années, pourtant, devaient lui amener quelques allégements.

Il arriva une fois que Chupin resta six semaines sans donner de ses nouvelles. Un mois et demi !… Qu’était-il