Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/548

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— Comme elle est pressée ! pensait-il. Ce n’est cependant guère le quartier des rendez-vous.

Le fiacre venait de dépasser la place d’Italie. Il enfila la rue du Château-des-Rentiers, et bientôt s’arrêta devant un espace libre…

La portière s’ouvrit aussitôt, la duchesse de Sairmeuse sauta lestement à terre, et sans regarder de droite ni de gauche, elle s’engagea dans les terrains vagues…

Non loin de là, sur un bloc de pierre, était assis un homme de mauvaise mine, à longue barbe, en blouse, la casquette sur l’oreille, la pipe aux dents.

— Voulez-vous garder mon cheval un instant ? lui demanda Martial.

— Tout de même ! fit l’homme.

Martial lui jeta la bride et s’élança sur les pas de sa femme.

Moins préoccupé, il eût été mis en défiance par le sourire méchant qui plissa les lèvres de l’homme, et, examinant bien ses traits, il l’eût peut-être reconnu.

C’était Jean Lacheneur.

Depuis qu’il avait adressé au duc de Sairmeuse une dénonciation anonyme, il faisait multiplier à la duchesse ses visites à la veuve Chupin, et, à chaque fois, il guettait son arrivée.

— Comme cela, pensait-il, dès que son mari se décidera à la suivre, je le saurai…

C’est que pour le succès de ses projets, il était indispensable que Mme Blanche fût épiée par son mari.

Car Jean Lacheneur était décidé désormais. Entre mille vengeances, il en avait choisi une effroyable, active et ignoble, qu’un cerveau malade et enfiévré par la haine pouvait seul concevoir.

Il voulait voir l’altière duchesse de Sairmeuse livrée aux plus dégoûtants outrages, Martial aux prises avec les plus vils scélérats, une mêlée sanglante et immonde dans un bouge… Il se délectait à l’idée de la police, prévenue par lui, arrivant et ramassant indistinctement