Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/549

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tout le monde. Il rêvait un procès hideux où reparaîtrait le crime de la Borderie, des condamnations infamantes, le bagne pour Martial, la maison centrale pour la duchesse, et il voyait ces grands noms de Sairmeuse et de Courtomieu flétris d’une éternelle ignominie.

Dans cette conception du délire se retrouvait la férocité de l’assassin du vieux duc de Sairmeuse, mêlée de monstrueux raffinements empruntés par le cabotin nomade aux mélodrames où il jouait les rôles de traître.

Et il pensait bien n’avoir rien oublié. Il avait sous la main deux abjects scélérats, capables de toutes les violences, et un triste garçon du nom de Gustave, que la misère et la lâcheté mettaient à sa discrétion, et à qui il comptait faire jouer le rôle du fils de Marie-Anne.

Certes ces trois complices ne soupçonnaient rien de sa pensée. Quant à la veuve Chupin et à son fils, s’ils flairaient quelque infamie énorme, il ne savaient de la vérité que le nom de la duchesse.

Jean tenait d’ailleurs Polyte et sa mère par l’appât du gain et la promesse d’une fortune s’ils servaient docilement ses desseins.

Enfin, pour le premier jour où Martial suivrait sa femme, Jean avait prévu le cas où il entrerait derrière elle à la Poivrière, et tout avait été disposé pour qu’il crût qu’elle y était amenée par la charité.

Mais il n’entrera pas, pensait Lacheneur, dont le cœur était inondé d’une joie sinistre, pendant qu’il tenait le cheval, M. le duc est trop fin pour cela.

Et dans le fait, Martial n’entra pas. Si les bras lui tombèrent quand il vit sa femme entrer comme chez elle dans ce cabaret infâme, il se dit qu’en l’y suivant il n’apprendrait rien.

Il se contenta donc de faire le tour de la maison, et remontant à cheval, il partit au grand galop. Ses soupçons étaient absolument déroutés, il ne savait que penser, qu’imaginer, que croire…

Mais il était bien résolu à pénétrer ce mystère, et dès