Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/59

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disait bien quel cœur il eût, comme cinq cent mille autres, pris le fusil et marché aux alliés…

Il s’arrêta… Les explosions reprenaient avec plus de violence, et durant cinq minutes elles se succédèrent sans interruption.

M. d’Escorval écoutait les sourcils froncés.

— Ce n’est pas là, murmurait-il, le feu d’un engagement…

Demeurer plus longtemps dans cet état d’anxiété était impossible.

— Si tu veux bien me le permettre, père, hasarda Maurice, je vais aller aux informations ?

— Va !… répondit simplement le baron, mais s’il y a quelque chose, ce dont je doute, ne t’expose pas, reviens.

— Oh !… sois prudent !… insista Mme d’Escorval, qui voyait déjà son fils exposé aux plus affreux dangers.

— Soyez prudent, insista Marie-Anne, qui était seule à comprendre quels attraits devait avoir le péril pour ce malheureux désespéré.

Les recommandations étaient inutiles. Au moment où Maurice s’élançait vers la porte, son père le retint.

— Attends, lui dit-il, voici venir là-bas quelqu’un qui nous donnera peut-être des renseignements.

En effet, au coude du chemin de Sairmeuse, un homme venait d’apparaître.

Il marchait à grands pas, au milieu de la route poudreuse, la tête nue sous le soleil, et par moments il brandissait son bâton, furieusement, comme s’il eût menacé un ennemi visible pour lui seul.

Bientôt on put distinguer ses traits.

— Eh !… c’est Chanlouineau, exclama M. Lacheneur.

— Le propriétaire des vignes de la Borderie ?

— Précisément… Le plus beau gars du pays et le meilleur aussi. Ah ! il a du bon sang dans les veines, celui-là, et on peut se fier à lui.

— Il faut le prier de monter, dit M. d’Escorval.

M. Lacheneur se pencha sur la balustrade, et appli-