Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/58

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— Il le faut, répéta M. Lacheneur, et plus tard, Maurice, vous bénirez l’affreux courage que j’ai en ce moment.

Effrayée du désespoir de son fils, Mme d’Escorval intervint.

— Ce refus, commença-t-elle, a des raisons…

— Aucune que je puisse dire, madame la baronne. Mais jamais, tant que je vivrai, ma fille ne sera la femme de votre fils.

— Ah !… vous tuez mon enfant !… s’écria la baronne.

M. Lacheneur hocha tristement la tête.

— M. Maurice, dit-il, est jeune, il se consolera, il oubliera…

— Jamais ! interrompit le pauvre amoureux, jamais !…

— Et votre fille ? interrogea la baronne.

Ah ! c’était bien là vraiment la place faible, celle où il fallait frapper ; l’instinct de la mère ne s’était pas trompé. M. Lacheneur eut une minute d’hésitation visible, mais se raidissant contre l’attendrissement qui le gagnait.

— Marie-Anne, répondit-il lentement, sait trop ce qu’est le devoir pour ne pas obéir quand il commande… Quand je lui aurai dit le secret de ma conduite, elle se résignera, et si elle souffre, elle saura cacher ses souffrances…

Il s’interrompit. On entendait dans le lointain, comme une fusillade, des feux de file que dominait la voix puissante du canon.

Tous les fronts pâlirent. Les circonstances donnaient à ces sourdes détonations une signification terrible.

Le cœur serré d’une pareille angoisse, M. d’Escorval et Lacheneur se précipitèrent sur la terrasse.

Mais déjà tout était rentré dans le silence. Si large que fût l’horizon, l’œil n’y découvrait rien. Le ciel était bleu, pas un nuage de fumée ne se balançait au-dessus des arbres.

— C’est l’ennemi, gronda M. Lacheneur d’un ton qui