Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/69

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Bien que sans lune, la nuit était claire, et par delà le léger brouillard blanc qui indiquait le cours de l’Oiselle, il apercevait la masse imposante du château de Sairmeuse, avec ses tourelles et ses toits dentelés.

Que de fois il l’avait contemplé ainsi, au milieu du silence, ce château qui abritait ce qu’il avait de plus cher et de plus précieux au monde.

De sa fenêtre, il apercevait les fenêtres de Marie-Anne, et son cœur battait plus fort quand il les voyait s’éclairer.

— Elle est là, se disait-il, dans sa blanche chambre de jeune fille… Elle s’agenouille pour dire ses prières… Elle murmure mon nom après celui de son père en implorant la bénédiction de Dieu…

Mais ce soir, il n’avait pas à attendre qu’une lumière brillât derrière les vitres de cette fenêtre chérie.

Marie-Anne n’était plus à Sairmeuse… elle en avait été chassée.

Où était-elle, maintenant ?… Elle n’avait plus d’autre asile, elle, accoutumée aux recherches de la richesse, qu’une misérable masure couverte de chaume, dont les murs n’étaient même pas blanchis à la chaux, sans autre plancher que le sol même, poudreux en été comme la grande route et boueux en hiver.

Elle en était réduite à garder pour elle-même l’aumône que, charitable en sa prospérité, elle destinait à de pauvres gens.

Que faisait-elle à cette heure ?… Elle pleurait sans doute…

À cette idée, le cœur du pauvre Maurice se brisait.

Mais que devint-il, quand un peu après minuit, il vit soudainement s’illuminer le château de Sairmeuse ?

Le duc et son fils rentraient ; après le dîner de fête du marquis de Courtomieu, et avant de se coucher, ils visitaient cette magnifique demeure où avaient vécu leurs pères. Ils reprenaient pour ainsi dire possession de ce château dont M. de Sairmeuse n’avait pas franchi le seuil depuis vingt-deux ans, et que Martial ne connaissait pas.