Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/70

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Maurice vit les lumières courir d’étage en étage, de chambre en chambre, et enfin les fenêtres de Marie-Anne s’éclairèrent.

À ce spectacle, le malheureux ne put retenir un cri de rage.

Des hommes, des étrangers, entraient dans ce sanctuaire d’une vierge, où il osait à peine, lui, pénétrer par la pensée.

Ils foulaient insoucieusement le tapis de leurs lourdes bottes, ils parlaient haut. Maurice frémissait, en songeant à ce que se permettait peut-être leur insolente familiarité. Il lui semblait les voir examiner et toucher ces mille riens dont aiment à s’entourer les jeunes filles, ils ouvraient les armoires, ils lisaient une lettre inachevée laissée sur le pupitre…

Jamais avant cette soirée Maurice n’eût voulu croire qu’on pouvait haïr quelqu’un autant qu’il haïssait ces Sairmeuse.

Désespéré, il se jeta sur son lit, et le reste de la nuit se passa à songer à ce qu’il dirait à Marie-Anne et à chercher une issue à une inextricable situation.

Levé avant le jour, il erra dans le parc comme une âme en peine, redoutant et appelant le moment où son sort serait fixé. Mme d’Escorval eut besoin de toute son autorité pour le décider à prendre quelque chose ; il ne s’apercevait pas que depuis la veille au matin il n’avait rien mangé.

Enfin, comme onze heures sonnaient, il partit.

Les landes de la Rèche étant situées de l’autre côté de l’Oiselle, Maurice dut gagner, pour traverser la rivière, un endroit où il y avait un bac, à une portée de fusil d’Escorval. Quand il arriva au bord de l’eau, il y trouva six ou sept paysans, hommes et femmes, qui attendaient le passeur.

Ces gens ne remarquèrent pas Maurice. Ils causaient ; il écouta.

— Pour vrai, c’est vrai, disait un gros garçon à l’air réjoui, et moi qui vous parle, je l’ai entendu de la pro-