Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait été, pour la seconde fois, installé aux Tuileries par la coalition triomphante.

La terre n’avait pas eu le temps de boire les flots de sang répandus à Waterloo ; douze cent mille soldats étrangers foulaient le sol de la patrie ; le général prussien Muffling était gouverneur de Paris.

Et les gens de Sairmeuse s’indignaient et tremblaient.

Ce roi, que ramenaient les alliés, ne les épouvantait guère moins que les alliés eux-mêmes.

Dans leur pensée, ce grand nom de Bourbon qu’il portait ne pouvait signifier que dîme, droits féodaux, corvées, oppression de la noblesse…

Il signifiait surtout ruine, car il n’était pas un d’entre eux qui n’eût acquis quelque lopin des biens nationaux, et on assurait que toutes les terres allaient être rendues aux anciens propriétaires émigrés.

Aussi, est-ce avec une curiosité fiévreuse qu’on entourait et qu’on écoutait un tout jeune homme, revenu de l’armée depuis deux jours.

Il racontait, avec des larmes de rage dans les yeux, les hontes et les misères de l’invasion.

Il disait le pillage de Versailles, les exactions d’Orléans, et aussi comment d’impitoyables réquisitions dépouillaient de tout les pauvres gens des campagnes.

— Et ils ne s’en iront pas, répétait-il, ces étrangers maudits auxquels nous ont livrés des traîtres, ils ne s’en iront pas tant qu’ils sentiront en France un écu et une bouteille de vin !…

Il disait cela, et de son poing crispé il menaçait le drapeau arboré au haut du clocher, un drapeau blanc qui cliquetait à la brise.

Sa généreuse colère gagnait ses auditeurs, et l’attention qu’on lui accordait n’était pas près de se lasser, quand il fut interrompu par le galop d’un cheval sonnant sur le pavé de l’unique rue de Sairmeuse.

Un frisson agita les groupes. La même crainte serrait tous les cœurs.

Qui disait que ce cavalier ne serait pas quelque officier