Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/8

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Anglais ou Prussien ?… Il annoncerait l’arrivée de son régiment et exigerait impérieusement de l’argent, des vêtements et des vivres pour ses soldats…

Mais l’anxiété dura peu.

Le cavalier qui apparut au bout de la pince, était un homme du pays, vêtu d’une méchante blouse de toile bleue. Il bâtonnait à tour de bras un petit bidet maigre et nerveux, qui, tout couvert d’écume, faisait encore feu des quatre fers.

— Eh !… c’est le père Chupin !… murmura un des paysans avec un soupir de soulagement.

— Même, observa un autre, il paraît terriblement pressé.

— C’est que sans doute le vieux coquin a volé quelque part le cheval qu’il monte.

Cette dernière réflexion disait la réputation de l’homme.

Le père Chupin, en effet, était un de ces terribles pillards qui sont l’effroi et le fléau des campagnes. Il s’intitulait journalier, mais la vérité est qu’il avait le travail en horreur et passait toutes ses journées au cabaret. La maraude seule le faisait vivre ainsi que sa femme et ses fils, deux redoutables garnements qui avaient trouvé le secret d’échapper à toutes les conscriptions.

Il ne se consommait rien dans cette famille qui ne fût volé. Blé, vin, bois, fruits, tout était pris sur la propriété d’autrui. La chasse et la pêche partout, en tout temps, avec des engins prohibés, fournissaient l’argent comptant.

Tout le monde savait cela, à Sairmeuse, et cependant, lorsque, de temps à autre, le père Chupin était poursuivi, il ne se trouvait jamais de témoins pour déposer contre lui.

— C’est un mauvais homme, disait-on, et s’il en voulait à quelqu’un, il serait bien capable de l’attendre au coin d’un bois pour tirer dessus comme sur un lapin.

Le vieux braconnier, cependant, venait de s’arrêter devant l’auberge du Bœuf couronné.