Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/71

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pre bouche de Chanlouineau, hier soir… Il ne se tenait pas de joie… « Je vous invite tous à la noce ! criait-il, j’épouse la fille de M. Lacheneur, c’est décidé. »

Cette stupéfiante nouvelle atteignait Maurice comme un coup de bâton sur la tête. Sa stupeur fut telle, qu’il perdit jusqu’à la faculté de réfléchir.

— Du reste, poursuivait le gros garçon, il y a assez longtemps qu’il en était amoureux… c’est connu. Il fallait voir ses yeux, quand il la rencontrait… des brasiers, quoi !… Il en maigrissait. Tant que le père a été dans les grandeurs, il n’a rien osé dire… dès qu’il l’a su tombé, il s’est déclaré et on a topé.

— Mauvaise affaire pour lui, hasarda un petit vieux.

— Tiens !… pourquoi donc ?

— S’il est ruiné, comme on dit…

Les autres éclatèrent de rire.

— Ruiné !… M. Lacheneur ! disaient-ils tous à la fois, quelle farce… Il a beau faire le pauvre, il est encore plus riche que nous tous… On sait ce qu’on sait… Le croyez-vous donc assez bête pour n’avoir rien mis de côté, en vingt ans !… Il en a placé, allez, de cet argent ; pas en terres, parce que ça se voit, mais autrement… Même il parait qu’il volait M. le duc de Sairmeuse comme il n’est pas possible…

— Vous mentez !… interrompit Maurice indigné, M. Lacheneur quitte Sairmeuse aussi pauvre qu’il y était entré.

En reconnaissant le fils de M. d’Escorval, les paysans étaient devenus fort penauds. Mais lui, en intervenant, s’était enlevé tout moyen de se renseigner. Il questionna, on ne lui dit que des niaiseries, des choses vagues. Le paysan interrogé ne répond jamais que ce qu’il pense devoir être agréable à qui l’interroge ; il a peur de se compromettre.

Ce fut une raison pour Maurice de hâter sa course quand il eut traversé l’Oiselle.

— Marie-Anne épouser Chanlouineau ! répétait-il, c’est impossible ! c’est impossible !…