Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/73

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avec le tumulte de son cœur, devait être un bienfait pour Maurice. Ces moments de solitude lui permettaient de se remettre, de rassembler ses idées, plus éparpillées au souffle de la passion que les feuilles jaunies à la bise de novembre.

Avec le malheur, l’expérience lui venait vite, et cette science cruelle de la vie qui apprend à se tenir en garde contre les illusions.

Ce n’est que depuis qu’il avait entendu causer les paysans qu’il comprenait bien l’horreur de la situation de M. Lacheneur. Précipité brusquement des hauteurs sociales qu’il avait atteintes, il ne trouvait en bas que haines, défiances et mépris. Des deux côtés on le repoussait et on le reniait. Traître, disaient les uns, voleur, criaient les autres. Il n’avait plus de condition sociale. Il était l’homme tombé, celui qui a été et qui n’est plus…

Un tel excès de misère impatiemment supporté ne suffit-il pas à expliquer les plus étranges déterminations et les plus désespérées ?…

Cette réflexion faisait frémir Maurice. Rapprochant des cancans des paysans des paroles prononcées la veille à Escorval par M. Lacheneur, il arrivait à cette conclusion que peut-être cette nouvelle du mariage de Marie-Anne et de Chanlouineau n’était pas si absurde qu’il l’avait jugée tout d’abord.

Cependant, pourquoi M. Lacheneur donnerait-il sa fille à un paysan sans éducation ?… Par calcul ? Non, puisqu’il repoussait une alliance dont-il eût été fier au temps de sa prospérité. Par amour-propre alors ?… Peut-être ne voulait-il pas qu’il fût dit qu’il dût quelque chose à un gendre…

Maurice épuisait tout ce qu’il avait de pénétration à chercher le mot de cette énigme, quand enfin, au haut du sentier qui traverse la lande, une femme apparut : Marie-Anne.

Il se dressa, mais craignant quelque regard indiscret, il n’osa quitter l’ombre des arbres.