Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/74

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Marie-Anne devait avoir quelque frayeur pareille, car elle courait en jetant de tous côtés des regards inquiets. Maurice remarqua, non sans surprise, qu’elle était tête nue, et qu’elle n’avait sur les épaules ni châle ni écharpe.

Enfin, elle atteignit le bois, il se précipita au-devant d’elle, et lui prit la main qu’il porta à ses lèvres.

Mais cette main qu’elle lui avait tant de fois abandonnée, elle la retira doucement avec un geste si triste qu’il eût bien dû comprendre qu’il n’était plus d’espoir.

— Je viens, Maurice, commença-t-elle, parce que je n’ai pu soutenir l’idée de votre inquiétude… Je trahis en ce moment la confiance de mon père… il a été obligé de sortir, je me suis échappée… Et cependant je lui ai juré, il n’y a pas deux heures, que je ne vous reverrais jamais… Vous l’entendez : jamais.

Elle parlait vite, d’une voix brève, et Maurice était confondu de la fermeté de son accent.

Moins ému, il eût vu combien d’efforts ce calme apparent coûtait à cette jeune fille si vaillante. Il l’eût vu, à sa pâleur, à la contraction de sa bouche, à la rougeur de ses paupières qu’elle avait vainement baignées d’eau fraîche, et qui trahissait les larmes de la nuit.

— Si je suis venue, poursuivait-elle, c’est qu’il ne faut pas, pour votre repos et pour le mien, il ne faut pas qu’il reste, au fond de votre cœur, l’ombre d’une pensée d’espérances… Tout est bien fini, c’est pour toujours que nous sommes séparés !… Les faibles seuls se révoltent contre une destinée qu’ils ne peuvent changer ; résignons-nous… Je voulais vous voir une dernière fois et vous dire cela… Ayons du courage, Maurice… Partez, quittez Escorval, oubliez-moi…

— Vous oublier, Marie-Anne ! s’écria le malheureux, vous oublier !…

Il chercha du regard le regard de son amie, et l’ayant rencontré, il ajouta d’une voix sourde :

— Vous m’oublierez donc, vous ?…