Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/75

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— Moi je suis une femme, Maurice…

Mais il l’interrompit.

— Ah ! ce n’est pas là ce que j’attendais, prononça-t-il. Pauvre fou !… Je m’étais dit que vous sauriez trouver dans votre cœur de ces accents auxquels le cœur d’un père ne saurait résister.

Elle rougit faiblement, hésita, et dit :

— Je me suis jetée aux pieds de mon père… il m’a repoussée.

Maurice fut anéanti, mais se remettant :

— C’est que vous n’avez pas su lui parler, s’écria-t-il avec une violence inouïe, mais je le saurai, moi !… Je lui donnerai de telles raisons qu’il faudra bien qu’il se rende. De quel droit son caprice briserait-il ma vie !… Je vous aime… de par mon amour vous êtes à moi, oui, plus à moi qu’à lui !… Je lui ferai entendre cela, vous verrez… Où est-il, où le rencontrer à cette heure ?…

Déjà il prenait son élan, pour courir il ne savait où, Marie-Anne l’arrêta par le bras.

— Restez, commanda-t-elle, restez !… Vous ne m’avez donc pas comprise, Maurice ?… Eh bien ! sachez toute la vérité. Je connais maintenant les raisons du refus de mon père, et quand je devrais mourir de sa résolution, je l’approuve… N’allez pas trouver mon père… Si, touché de vos prières, il accordait son consentement, j’aurais l’affreux courage de refuser le mien !…

Si hors de soi était Maurice que cette réponse ne l’éclaira pas. Sa tête s’égara, et sans conscience de l’abominable injure qu’il adressait à cette femme tant aimée :

— Est-ce donc pour Chanlouineau, s’écria-t-il, que vous gardez votre consentement ?… Il le croit, puisqu’il va disant partout que vous serez bientôt sa femme…

Marie-Anne frissonna comme si elle eût été atteinte dans sa chair même, et cependant il y avait plus de douleur que de colère dans le regard dont elle accabla Maurice.