Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/86

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On eût juré qu’il disait la vérité, tant sa voix était persuasive, tant l’expression de son visage, son regard, son geste, étaient d’accord avec ses paroles.

Et Maurice, qui sentait, qui était sûr qu’il mentait et mentait impudemment, Maurice restait ébahi de cette science de comédien que donne le commerce de la « haute société, » et qu’il ignorait, lui…

Mais où Martial en voulait-il venir, et pourquoi cette comédie ?…

— Dois-je vous dire, mademoiselle, tout ce que j’ai souffert hier, dans cette petite salle du presbytère ?… Non, je ne me rappelle pas, en ma vie, de si cruel moment. Je comprenais, moi, l’héroïsme de M. Lacheneur. Apprenant notre arrivée, il accourait, et sans hésitation, sans faste, il se dépouillait volontairement d’une fortune… et on le rudoyait. Cet excès d’injustice me faisait horreur. Et si je n’ai pas protesté hautement, si je ne me suis pas révolté, c’est que la contradiction irrite mon père jusqu’à la folie… Mais à quoi bon protester ?… Le sublime élan de votre piété filiale devait être plus puissant que toutes mes paroles. Vous n’étiez pas hors du village, que déjà M. de Sairmeuse, honteux de ses préventions, me disait : « J’ai eu tort, mais je suis un vieillard, je ne saurais me résoudre à faire le premier pas, allez, vous, marquis, trouver M. Lacheneur, et obtenez qu’il oublie… »

Marie-Anne, plus rouge qu’une pivoine, baissait les yeux, horriblement embarrassée.

— Je vous remercie, monsieur, balbutia-t-elle, au nom de mon père…

— Oh !… ne me remerciez pas, interrompit Martial avec feu, ce sera à moi, au contraire, de vous rendre grâces, si vous obtenez de M. Lacheneur qu’il accepte les justes réparations qui lui sont dues… et il les acceptera si vous consentez à plaider notre cause… Qui donc résisterait à votre voix si douce, à vos beaux yeux suppliants…

Si inexpérimenté que fût Maurice ; il ne pouvait plus